Dessine-moi Internet
Aux îles Cook, le lait, le beurre et la viande rouge arrivent par bateau de Nouvelle-Zélande après un voyage de deux semaines. Le pays vit au rythme des vols internationaux atterrissant au petit aéroport de Rarotonga. Ils amènent les touristes et font ainsi vivre la première (de loin) industrie des îles.
Pourtant, même dans un pays tant isolé, Internet est là, permettant en quelques secondes de se connecter au monde. Voilà six mois que je voyage et le web a jusqu'alors toujours été à mes côtés. Des canaux de Venise à la plage de Venice Beach, des alpes juliennes en Slovénie aux alpes du sud néozélandaises, de l'île de Cres en Croatie à l'île de Rarotonga. Comment une telle omniprésence est-elle possible ? Et au fait, c'est quoi Internet ?
La réponse la plus rapide est une simple traduction du nom, un réseau de réseaux. De même, le World Wide Web est une toile d'araignée à échelle mondiale. Tout ça est bien vague. Concrètement à quoi ressemble Internet ? Quelle forme prend-il ?
On représente souvent Internet comme un nuage ou une nébuleuse (d'autres représentations plus originales incluent une carte de métro). Votre ordinateur se connecte au nuage, on ne sait pas bien ce qui s'y passe puis votre message en ressort pour arriver à l'ordinateur que vous cherchiez à contacter. Comme par magie. Cela reste une représentation très schématique, qui appelle d'autres interrogations : qu'il y a-t-il dans le nuage ? Quel chemin suit le message ?
Rentrons dans le détail. Russ Haynal propose un schéma bien plus exhaustif. L'utilisateur (User PC + User's Comm. Equip) se connecte via le Local Loop Carrier au point d'accès de son fournisseur d'accès (ISP's POP. ISP signifie "Internet Service Provider". En français, cela donne FAI, fournisseur d'accès à Internet. POP signifie ici "Point of Presence". Ne pas confondre avec le Post Office Protocol qui vous permet de consulter vos emails sous Outlook ou Thunderbird. Fin de la parenthèse). L'utilisateur accède ici au nuage, appelé ISP Backbone, littéralement la colonne vertébrale d'Internet. On parle aussi souvent d'autoroutes de l'information. Ces fibres optiques à très grande capacité de transmission sont pour la plupart la propriété de sociétés privées de télécommunications (AT&T, Verizon, opérateurs historiques comme France Télécom, etc.) même s'il existe des réseaux à but non lucratif (comme le réseau universitaire RENATER en France ou celui du National Science Foundation aux Etats-Unis).
Au moment de communiquer sur Internet, on ne se limite pas à emprunter un seul réseau. Les autoroutes de l'information sont connectées entre elles.
D'un point A à un point B. En 27 étapes.
Un voyage sur la toile peut facilement compter plus de dix étapes. Si vous souhaitez en faire l'expérience (et par la même occasion avoir l'air d'un génie de l'informatique tout droit sorti de Matrix), lancez l'invite de commandes (sous Windows, Menu Démarrer > Exécuter > Entrez "cmd") et tapez "tracert www.google.com". Cela vous montrera la route suivie depuis votre ordinateur jusqu'au serveur de Google. J'ai fait l'expérience depuis Christchurch en Nouvelle-Zélande jusqu'au serveur de Novius à Vénissieux et voici le résultat. Un peu barbare à première vue mais, en y regardant de plus près, on obtient tout mon parcours sur la toile :
- Etapes 1 et 2, réseau local (les adresses IP commençant par 192.168 l'indiquent). Je passe par wifi de mon PC au routeur de l'auberge de jeunesse.
- Etapes 3 à 7, je me balade en Nouvelle-Zélande sur le réseau du FAI TelstaClear
- Etapes 8 à 12, traversée du Pacifique sur le réseau du FAI Reach
- Etapes 13 à 15, arrivée aux Etats-Unis plus exactement à San José dans la baie de San Francisco
- Etapes 16 et 17, traversée des Etats-Unis, arrivée à New York
- Etapes 18 et 19, traversée de l'Atlantique, arrivée à Londres
- Etapes 20 à 27, la France enfin, en passant par Paris et le réseau du FAI Completel
Alors que nous avons mis deux mois à attendre la Nouvelle Zélande, les antipodes, nos emails ne tardent que 80 secondes pour faire le chemin retour. Mais 80 secondes quand on attend derrière son écran n'est-ce pas un peu long ? Et puis pourquoi passer par les Etats-Unis et donc traverser les deux océans pour aller de Nouvelle-Zélande en France ? Internet est partout mais Internet est loin d'être partout parfait.
Fracture et facture numériques
Voyez cette carte du monde des câbles sous-marins et de la bande passante. Elle constitue la représentation la plus concrète d'Internet. Les Etats-Unis apparaissent clairement comme le centre du monde. La liaison transatlantique nord est la première de la planète (un constat déjà vrai à l'époque du télégraphe). L'hémisphère nord concentre 90% du réseau marginalisant l'Afrique, l'Amérique latine et l'Océanie.
Un seul câble relie la Nouvelle-Zélande aux Etats-Unis, le Southern Cross de Reach (celui emprunté pour joindre novius.fr). Bien que plus courte, la route directe vers l'Europe (par l'Asie) propose une bande passante bien moindre nous obligeant à toujours transiter par le pays de l'oncle Sam. Les îles Cook, quant à elles, ne figurent même pas sur cette carte. Aucun câble sous-marin ne les relie au monde. La liaison se fait par satellite, une solution lente et coûteuse. Le gouvernement polynésien s'en est ému et supporte la mise en place de SPIN, South Pacific Islands Network. Il devrait être mis en place cette année. Mais certains doutent que cette nouvelle solution technique soit une solution commerciale viable. Car en plus d'être lent, Internet dans le Pacifique sud est cher.
Dans les îles Cook, l'heure dans un cybercafé coûte généralement NZ$10 (5€). Un abonnement mensuel s'élève à NZ$120 (60€) pour un vitesse de 256Ko/s. Il faut aussi savoir que l'illimité n'existe pas en Océanie. L'abonnement sur les îles Cook est limité à 3Go par mois. En arrivant en Nouvelle-Zélande, nous nous attendions à beaucoup mieux. Peut-être avons-nous été trop optimistes. Certes, nous nous payons plus qu'un euro l'heure de wifi (il est quand même loin le temps où le wifi était gratuit partout aux Etats-Unis, même dans le bus) mais les abonnements Internet sont bien plus onéreux qu'en Europe.
En plus de son éloignement, l'Internet néozélandais souffre d'un contexte économique semblable à celui des pays européens pendant les années 90. L'opérateur historique Telecom bénéficie toujours d'un monopole très étendu. Des offres privées existent mais sont restreintes par la position dominante de Telecom. L'un des principaux concurrents, Telstra venu d'Australie, ne propose une offre dégroupée qu'à Christchurch et Wellington (et pas à Auckland pourtant la plus grand ville du pays). Dans ces deux villes, leur offre triple play (c'est-à-dire l'équivalent d'une box) coûte entre 63€ (10 Go par mois) et 110€ (80 Go). Dans le reste du pays, pour la connexion Internet et le téléphone (pas de télévision), il faut s'acquitter de 60€ par mois plus 2€ par giga consommé.
Aux îles Cook, Telecom Cook Islands, filiale à 60% de Telecom NZ, bénéficie d'un monopole complet. Les habitants s'en plaignent régulièrement dans le courrier des lecteurs du journal local. L'ouverture au secteur privé est souvent évoquée mais toujours retardée.
J'espère maintenant, alors que vous lisez cet article grâce à votre abonnement illimité internet - téléphone - TV à 30€ par mois, que vous vous rendez compte à quel point se connecter est facile dans le Vieux Continent.