Générations d'outils et d'utilisateurs
Pour les dernières tendances Internet, demandez à votre mère. La mienne (Salut Maman !) fait évoluer ses habitudes au gré de mes voyages. 2003, je traverse la Manche pour m'installer en Angleterre. Elle ne trouvait jusqu'alors pas grand intérêt au courrier électronique mais recevoir des nouvelles régulières de son fils (indigne ; j'aurais quand même pu écrire des lettres) était une raison suffisante pour s'y mettre. 2009, je traverse les océans pour découvrir les antipodes de la France. Facebook, elle connaissait de nom mais ce qui l'a poussée à se créer un compte c'est pouvoir suivre les tribulations de son fils (pas si indigne ; j'écris des cartes postales). Je vous dis, très sérieusement, que ce comportement maternel revèle une tendance lourde.
Déjà en novembre 2007, le très influent webzine américain Slate titrait La mort de l'email (les premières prédictions remontent même à 2002). A première vue, cela semble absurde. Annonce-t-on la mort du web ou celle d'Internet ? Internet sans email c'est un bon repas sans fromage, une forêt sans écureuil. Mais à y regarder de plus près, les faits sont là, on en veut à l'email.
Le premier coup porté au courriel a été le spam. Quand 81% des messages reçus sont indésirés, le courrier électronique cesse d'être un outil efficace de communication. Bien sûr, on a inventé des filtres plus ou moins sophistiqués mais en avez-vous déjà trouvé un qui vous satisfasse pleinement ? Trop laxistes, ils laissent passer une bonne partie des indésirables. Trop stricts, ils bloquent même les emails de vos amis.
Malgré tout, le junk mail à lui seul ne peut justifier le déclin progressif de l'email. La messagerie instantanée (ou IM - Instant Messaging - ou encore Messenger du nom du logiciel de Microsoft) est venue concurrencée le pauvre email, plus lent. Certains citent aussi le SMS comme moyen de communication alternatif.
Comme si tout ça ne suffisait pas, l'email doit faire face depuis plusieurs années à une menace encore plus sérieuse, les réseaux sociaux. Facebook, Twitter et confrères permettent une communication bien plus fine que le simple email.
Le problème du spam est réglé par exemple, tous vos interlocuteurs étant identifiés. Les échanges avec un groupe de personnes sont à la fois plus rapides et plus organisés. Pour préparer la prochaine fête du samedi soir, un forum se crée plutôt que d'envoyer un email groupé à trente personnes et de centraliser péniblement les réponses. De manière générale, l'expérience de communication est plus riche avec les réseaux sociaux : différents types de message sont disponibles (statut, wall, commentaire, message privé, etc.), joindre des photos, vidéos ou liens est plus aisé, devenir fan d'une association, artiste ou entreprise évite de multiplier le nombre de newsletters reçues, etc. Beaucoup d'éléments qui font de l'email une technologie du passé.
Ainsi, vous l'aurez compris, qu'il s'agisse d'un backpacker avec son netbook à la terrasse d'un McDo de Venise ou du Queensland ou d'un malais dans un cybercafé de Penang, ce que l'on voit sur leurs écrans, c'est Facebook. En effet, depuis l'année dernière, les réseaux sociaux sont plus populaires que les emails personnels. J'ai bien dit personnel.
Ma petite entreprise connait pas la crise (de l'email)
Combien de temps consacrez-vous chaque jour au travail pour envoyer et recevoir des emails ? Deux ? Quatre ? Six heures ? Pour la plupart d'entre nous, la réponse est "trop". Malgré toutes les avancées technologiques de la communication web (réseaux sociaux, espaces de travail collaboratif, blogs, IM, etc.), l'email professionnel semble inébranlable. Certains se plaient à rêver d'une entreprise sans email ou lancent des no-email fridays.
Comment expliquer une telle résistance au travail alors qu'à la maison on change volontiers de technologie ? La peur d'incompatibilité avec son réseau professionnel, interne comme externe, en est la raison. Que vont dire mes clients si je passe à l'IM ? Le blog interne de l'entreprise serait-il aussi suivi que les emails à tous@ ? Mes fournisseurs vont-ils consulter les messages que je leur envoie sur LinkedIn ?
Bref, par peur de perdre un client ou du temps, on préfère se contenter d'un moyen de communication imparfait mais universel. Ce phénomène n'est pas limité à l'email. Pour la navigation web, on utilise bien plus Firefox à la maison qu'au travail. Même constat pour Open et Microsoft Office. Changer d'outil est lourd de conséquence en entreprise, d'où une certaine inertie. A moins qu'un nouveau outil réussisse à s'imposer et à devenir lui aussi universel (pourrait-ce être Google Wave ?), l'email professionnel a encore de beaux jours devant lui.
Mort ? Vivant ?
L'email souffre mais l'email n'est pas mort. 47 milliards d'emails sont envoyés chaque jour (247 milliards si on prend en compte le spam). Même si les réseaux sociaux lui sont passés devant, l'email continue à voir son nombre d'utilisateurs croitre. Un groupe d'utilisateurs, les seniors, continuent à faire des emails personnels leur activité numéro un sur Internet.
Il est donc bien trop tôt pour enterrer l'email mais déjà grand temps de nous adapter à un Internet sans lui.