Et vous pouvez même téléphoner avec !
Le Japon, un pays moderne ? Pourtant, pour nous, tout avait mal commencé. Nos premières actions en arrivant dans un nouveau pays sont 1. connecter le téléphone à un réseau national, 2. tirer de l'argent. Ça s'est passé sans encombre dans quinze pays mais, à l'aéroport de Narita, nous nous sommes retrouvés sans réseau et sans yen. Le pays du soleil levant serait-il en retard ? Non, bien au contraire, il est en avance.
Nous n'avons pas de réseau car notre portable est un GSM, standard non utilisé au Japon. Les standards utilisés portent les noms barbares de PDC, CDMA ou encore and WCDMA et sont compatibles entre eux. Avec un téléphone 3G, plus de problème, ils fonctionnent ici.
Nous n'avions pas d'argent car les cartes de crédit internationales Visa et MasterCard sont peu acceptées. C'est particulièrement vrai pour cette dernière. Malgré tout, avec un peu de patience, on arrive quand même à tirer de l'argent dans les aéroports et grandes gares. Nous sommes finalement repartis de Narita avec des yens en poche.
Les japonais suivent peu les standards internationaux pour la simple et bonne raison qu'ils les précèdent souvent. Pour la téléphone mobile et le paiement électronique (qui sont ici liés, nous allons le voir), par exemple, ils n'attendent pas les dernières nouveautés US, ils innovent.
Pour nous autres européens, nous servir de notre portable pour autre chose que communiquer (appels ou SMS) est relativement récent. Certes, les smartphones existent depuis plusieurs années mais, en France, il a surtout fallu attendre le lancement de l'iPhone pour qu'ils commencent à se généraliser. Les nouvelles fonctionnalités offertes - Internet, géolocalisation, applications en tous genres - ne manquèrent pas de nous impressionner. Pour les nippons, que leurs mobiles tiennent plus de l'ordinateur portable que du téléphone est un acquis depuis le milieu des années 2000. En 2004, NTT Docomo (voir chapitre suivant) lançait l'osaifu keitai, qu'on pourrait traduire par porte-monnaie électronique.
On peut comparer cette technologie, qui est l'œuvre de Sony sous le nom de FeliCa, à une carte RFID (comme votre pass Tecely ou Navigo) intégrée à l'intérieur du portable. En six ans d'existence, l'osaifu keitai a bien percé. 60% des utilisateurs de Docomo sont équipés soit près de 35 millions de téléphone. Les autres opérateurs proposent également le porte-monnaie électronique depuis plusieurs années, si bien que plus d'un quart des japonais ont accès à cette technologie.
Voyons maintenant ce que permet ce porte-monnaie du futur. Premièrement, comme son nom l'indique, il permet de payer. Grâce au service Edy, il est possible de régler ces achats dans la plupart des supérettes (les convenient stores, omniprésents au Japon), supermarchés et autres grandes chaînes du pays. Cependant, l'osaifu keitai est loin de se limiter au seul paiement électronique. Il peut servir de billets d'avion, d'abonnement transport à Tokyo et dans d'autres villes du pays, de carte de fidélité dans de nombreux magasins, de billets de cinéma ou de concert, etc. Bref, on peut presque tout faire avec son téléphone. Ce qui explique la popularité de ce système mais aussi les risques qu'il engendre. La perte ou le vol du téléphone peuvent se révéler désastreux. Faire opposition n'est pas simple car il faut informer l'ensemble des prestataires de services. Mais la perte ou le vol ne sont sans doute pas la préoccupation numéro un dans l'un pays les plus sûrs au monde.
L'osaifu keitai illustre bien la longueur d'avance qu'a la Japon sur le reste du monde, Etats-Unis y compris. Nous considérons l'iPhone comme la pointe de la technologie, pourtant les japonais en sont réduits à ruser pour y intégrer le porte-monnaie électronique, fonctionnalité jugée essentielle.
Les portables nippons sont aussi dans leur grande majorité des lecteurs de code-barres. Vous avez peut-être déjà vu dans le métro parisien, au bas de certaines affiches, un carré noir et blanc, pixellisé et énigmatique. Il s'agit d'un QR code, autre invention venue d'Extrême-Orient. En Occident, ils font doucement leur apparition. Au Japon, ils sont partout. En énorme sur un bâtiment (comme le montre la photo illustrant ce dossier), sur les emballages, sur les tickets de caisse, dans les magazines, etc. Voici plusieurs exemples. Le fonctionnement est simple : on scanne le code-barre avec son portable (vous pouvez le faire en France avec une application iPhone ou un portable Android) et une information est retournée. Il peut s'agir d'un lien vers un site web (très pratique pour des URL longues), du programme d'un cinéma ou d'un théâtre, ou encore des informations nutritionnelles d'un hamburger. Le principale reproche qu'on peut faire au QR code est son look tout droit sorti de l'informatique des années 80. Il existe bien des design QR mais il n'est pas sûr que les européens les trouvent à leur goût.
La liste des fonctionnalités des téléphones japonais est encore longue. Sans rentrer dans le détail, sachez que le SMS se meurt au Japon, chaque portable ayant une adresse email liée. Sachez aussi qu'il est très courant de voir des japonais regarder la télévision ou des mangas sur leur portable dans le métro. Toutes ces possibilités ont pour conséquence un taux d'équipement (et d'utilisation) en téléphones de dernières générations parmi les plus élevés au monde.
Pays leader, entreprises leaders
Le Japon doit son leadership dans la téléphonie mobile principalement à son tissu économique exceptionnel. Fabricants comme opérateurs, la quasi-totalité des entreprises implantées dans le pays sont des sociétés nationales. Mais aussi des géants mondiaux. On ne présente plus Sony, pilier du high-tech international. NTT est moins connue. Pourtant, l'opérateur historique japonais est l'un des toutes premières entreprises de télécommunications de la planète. Il fait notamment partie des poids lourds de l'hébergement via sa filiale Verio.
En ce qui concerne la fabrication de téléphones, le Japon compte trois acteurs globaux : Sony Ericsson (moitié japonaise, moitié suèdoise), NEC et Sharp. La Corée du Sud voisine vient compléter le panorama des fabricants asiatiques avec Samsung et LG.
Peut-être vous demandez-vous, si le Japon a tant d'entreprises leaders, pourquoi continuons-nous à suivre les Etats-Unis pour les tendances technologiques ? Le problème du pays du soleil levant est - comme souvent dans son histoire - son relatif isolement. Confortablement installés sur leurs îles, les japonais ont parfois la sentiment de pouvoir oublier le reste du monde. Trop souvent les produits sont conçus avant tout pour le marché national. Les Etats-Unis, pays cosmopolite par excellence, ont au contraire toujours l'international en tête. De plus, les américains sont plus proches culturellement du reste du monde développé. Cependant, le vent tournera probablement avec l'avènement de l'Asie au XXIème siècle
La génération keitai
Si le Japon nous transporte quelques années en avant pour ce qui est de la technologie, c'est aussi vrai quant à son impact sur la société. Au Japon comme ailleurs, les jeunes sont le futur du pays. Voilà qui annonce un futur de pouces musclés et d'échanges face-à-face en déclin.
Le téléphone portable n'a pas encore remplacé le hochet dans le berceau des enfants nippons mais on n'y est presque. Il existe des téléphones destinés aux jeunes enfants fournis avec un logiciel pour l'emploi du temps de l'école, d'autres pour l'apprentissage, un dispositif de localisation de l'enfant s'il venait à se perdre et un système d'alarme. Habitués très tôt au keitai, les jeunes japonais ne conçoivent pas de vivre sans téléphone. Si bien qu'au lycée, 100% ou presque ont un portable.
Ils y consacrent en moyenne deux heures par jour. Il n'est pas rare de voir des groupes de jeunes assis ensemble, les yeux rivés sur leurs écrans plutôt de discuter entre eux. Cela inquiètent certains anthropologues. Ils estiment que le langage corporel et parlé sont essentiels au bon développement de l'être humain. Même si communiquer par téléphone portable est une forme d'interaction sociale, elle ne présente pas les bénéfices d'une discussion de visu.
Comment se comportera cette génération une fois à l'âge adulte est une des grandes questions qui attend la société japonaise. Mais aussi les autres pays développés... quelques années plus tard.